Comment s’adapter dans un monde en rupture ? La stratégie de Disney
Dans un environnement marqué par une accélération des ruptures sur les modes de production de distribution et de consommation, nous mettons régulièrement en évidence la nécessité, pour les entreprises, d’adapter leurs modèles économiques.
A l’occasion de sa grande conférence annuelle début décembre, le patron historique du leader mondial des infrastructures Cloud AWS (Amazon), Andy Jassy, développait sa vision sur la transformation des grandes entreprises évoquant le risque de disparition pour celles qui, à terme, seraient incapables de prendre les mesures adéquates pour s’adapter. Cette vision, qui fait échos avec la façon dont nous appréhendons les ruptures, met l’accent sur l’importance de disposer d’une bonne culture et d’adopter les bonnes technologies. La culture implique que les leaders soient littéralement obsédés par le changement, capables de repousser les résistances internes et externes, n’hésitant pas à se cannibaliser pour éviter que d’autres ne le fassent à leur place. Ces managers doivent savoir dénicher les meilleurs talents, être centrés sur les besoins du client plutôt que sur les concurrents et se montrer rapides, plaçant la simplicité avant la complexité.
Si ces décisions se conçoivent assez bien intellectuellement, elles peuvent néanmoins s’avérer très difficiles à prendre car elles impliquent bien souvent de renoncer à un modèle profitable pour embrasser l’inconnu au risque de froisser ses actionnaires et de susciter doutes et critiques.
A ce titre, l’exemple de Disney, sur lequel nous sommes investis depuis le lancement du fonds Ruptures, incarne bien la délicate transformation d’un modèle traditionnel vers un modèle digital et prouve que les leaders d’hier ne sont pas tous voués à disparaitre dans un monde de ruptures.
Son précurseur et principal compétiteur en la matière l’avait déjà bien fait douze ans auparavant. Les dirigeants de Netflix avaient en effet très tôt compris que l’évolution d’Internet allait changer la manière de consommer les médias, et qu’il n’y aurait pas de salut dans la location de DVD. Ils avaient alors opéré un virage audacieux mais salutaire en bâtissant une plateforme de streaming les faisant passer du statut de leader domestique de la location en ligne à celui de leader mondial du streaming payant. Leur stratégie allait à l’inverse de celle des médias traditionnels puisqu’elle offrait l’abondance en proposant des séries dans leur intégralité contrairement aux chaines câblées qui cultivaient la rareté pour mieux fidéliser leurs abonnés en étalant les épisodes dans le temps. Le risque était élevé et la perspective de profits lointaine puisque, pour réussir, il fallait accepter d’investir au maximum dans le contenu en l’achetant d’abords à ceux qui le produisaient et le détenaient (Disney, Stars, AMC…). Or ces derniers ne voyaient pas forcement la menace que représentait Netflix avant que Disney ne décide il y a 4 ans de ne plus lui fournir de contenu.
Une fois la barre des 100 millions d’abonnés payant dépassée, Netflix pouvait investir dans ses propres contenus originaux et sa base de coûts fixes devenait son principal avantage concurrentiel. En effet, avec une telle base d’utilisateurs, un film produit par Netflix était vite amorti et, pour rivaliser, une plateforme concurrente devait être en mesure de s’aligner sur les dépenses en renouvellement de contenu et bâtir une offre technologiquement capable d’offrir autant de personnalisation. Il s’agit ni plus ni moins que de l’effet d’échelle qui s’applique particulièrement aux plateformes Internet pour lesquelles le coût d’acquisition du client marginal est d’autant plus faible qu’elles peuvent diffuser leur contenu au niveau mondial ce qui est plus compliqué pour les médias traditionnels.
Pour ne rien arranger, Disney voyaient aussi débarquer les géants du numérique (Apple TV, Alphabet avec Youtube, Amazon avec Prime Vidéo) qui jouissent déjà de l’effet d’échelle et disposent de ce qui s’apparente à de l’effet réseau dans la mesure où l’ajout d’une offre supplémentaire renforce la richesse de l’écosystème auprès d’une base d’utilisateurs déjà acquise, la connaissance de ces utilisateurs permettant de développer et proposer des contenus personnalisés.
Le défi à relever était, et reste considérable pour un groupe dont le modèle économique est à cheval entre les parcs d’attractions, les cinémas mais surtout dont les revenus et les marges dépendent en grande partie de ses propres réseaux câblés ainsi que d’accords de distributions avec des réseaux tiers.
Vu de l’extérieur, il semblait difficile à Disney de rattraper Netflix tant ce dernier avait pris une longueur d’avance en termes d’effet d’échelle avec une base d’abonnés gigantesque dépassant aujourd’hui les 200 millions de personnes. Plus Netflix gagnait d’abonnés, plus il investissait dans ses programmes originaux créant ainsi la matière pour fidéliser ses abonnés. En outre pour Disney, vouloir se lancer dans le tout digital revenait à se couper de membres essentiels et rémunérateurs comme le cable.
Mais Disney, en s’appropriant la bonne technologie et en capitalisant sur ses atouts indéniables que sont ses marques, ses communautés de fans et ses studios, a su relever une partie du défi. Le groupe a en effet acheté en 2017 BAMTECH, un spécialiste des technologies de streaming qui fournissait déjà HBO et certaines ligues sportives (MLB, NHL), apportant un savoir-faire utile pour l’analyse du comportement des utilisateurs. Cette acquisition permettait d’envisager le lancement d’une plateforme capable de rivaliser Netflix et, au-delà, d’avancer sur la gestion du direct en ligne, un domaine crucial pour le groupe qui détient ESPN pour la diffusion des droits sportifs.
En procédant à l’acquisition géante de Century Fox en 2019, le groupe a renforcé son effet d’échelle face aux géants du numérique, détenant environ 40% de parts de marché sur les studios nord-américains. Il peut ainsi monétiser la création de contenus à l’échelle mondiale via notamment une plateforme de streaming rassemblant les franchises les plus prisées et les communautés les plus actives, elles même créées et entretenues par le cinéma, les parcs d’attraction et les produits dérivés.
Disney+, lancée début 2020 et bien qu’ayant été nettement aidée par le contexte pandémique, a rassemblé en moins d’un an plus de 86 millions d’abonnés soit presque la moitié de ce que Netflix a fait en une décennie et avec des technologies de recommandation tout aussi efficaces. Disney propose ainsi à la fois l’abondance avec la plus grande bibliothèque de contenu populaire et la rareté grâce à l’exclusivité des contenus regroupés sur sa plateforme, lui conférant un avantage concurrentiel évident car il devient dès lors très difficile de répliquer même pour les géants du numérique.
Cette stratégie ambitieuse a un coût dans la mesure où elle implique d’investir massivement dans le contenu des plateformes de streaming avec pour objectif de sortir 100 nouveautés pour environ 15 milliards par an à l’horizon 2025. Ces nouveautés évolueront bien sûr en grande partie dans l’univers déjà prospère des super héros (Marvel, Star Wars) mais la stratégie de lancement visera de plus en plus à créer le « buzz » directement sur la plateforme et plus uniquement au cinéma. Ainsi et d’ici 5 ans, le groupe anticipe plus de 300 millions d’abonnés sur ses différentes plateformes digitales (Disney+, STAR, HULU et ESPN+). La route sera longue et parsemée d’embuches, à commencer par les prochains mois qui devront supporter à la fois les coûts de déploiement de la stratégie digitale parallèlement aux effets de la pandémie sur les revenus des parcs d’attractions et des cinémas. Le digital aura ainsi un effet de cannibalisation sur les revenus issus des médias traditionnels alors que les chaines TV risquent de voir l’érosion de leur audience s’accélérer. Mais c’est le prix à payer de l’adaptation gagnante à l’évolution de modes de consommation et de distribution qui verra sans doute le marché se recentrer sur quelques grands leaders avec des acteurs de niche évoluant à la marge. Cette adaptation de Disney a d’ailleurs été reconnue par Reed Hastings, le patron de Netflix, à l’occasion de sa présentation des résultats annuels en janvier.
La stratégie d’investissement de Covéa Ruptures passe en partie par notre capacité à identifier ses leaders, en mesure de s’adapter dans un monde en pleine mutation, exigeant vision managériale et moyens humains.
Covéa Finance
Le 26 janvier 2021
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