"OnDécrypte l'Hebdo" - Malaise Américain

Perspectives Économiques et Financières

Temps de lecture : 12 min

Découvrez l'intégralité de notre suivi des marchés de la semaine - 03 février 2025

L’onde de choc provoquée par les annonces de la société chinoise Deepseek n’a pas fini de faire des vagues. Quoique la contestation puisse être importante sur les moyens financiers réellement alloués pour le développement de son modèle d’intelligence artificielle, le constat reste limpide sur la qualité des résultats obtenus. Les dirigeants de Nvidia ou de Microsoft ne réfutent d’ailleurs pas l’importante avancée technologique réalisée par les équipes chinoises, tout en insistant sur le mérite qui leur revient, et notamment, l’utilisation des développements réalisés à l’origine par OpenAi (ChatGpt) et la puissance de calcul nécessaire pour le permettre (Nvidia). La contestation repose donc plus sur les moyens et les coûts réels, plutôt que sur la méthode et les résultats. Mais Deepseek ne serait il que le révélateur d’une menace bien plus grande sur les États-Unis ?
Nos travaux élaborés dans le cadre de nos Perspectives Économiques et Financières insistent sur quelques éléments clés : la Chine forme plusieurs centaines de milliers d’ingénieurs par an et gère des montants considérables en matière de capital risque (1390 milliards à fin 2023). L’objectif est de faire émerger de nouvelles technologies et rebalancer son modèle de développement pour être moins dépendante de l’immobilier et inscrire son futur sur la maîtrise des technologies de demain, pour lesquelles elle ne veut plus être dépendante des Etats Unis. Les avancées en matière d’intelligence artificielle signent une étape, mais dans la même semaine, notons que la Chine enregistrait également un record en matière de production d’énergie à base de fusion nucléaire. Deepseek n’est sans doute que le révélateur d’une vague d’innovations majeures !
Alors que les marchés financiers mondiaux ne jurent que par la puissance des grandes capitalisations technologiques américaines (représentant plus de 20% des indices boursiers mondiaux), la réalité économique pourrait bien être différente des croyances boursières. A cet égard, le président américain a rapidement interpellé les géants de la technologie américaine, en leur signalant l’urgence de se réveiller ! Restrictions à l’exportation (y compris extraterritoriales), interdictions d’exercer aux États-Unis, capacité à attirer et mobiliser les capitaux pour financer l’écosystème technologique… autant de techniques et moyens à disposition des entreprises américaines qui ne stopperont pas la capacité de faire émerger l’innovation ailleurs.

Face à cette menace, et surtout avec la prise de conscience de la réalité de celle-ci venant contrecarrer l’impression d’une absolue suprématie américaine en la matière, les ramifications risquent d’être nombreuses. D’abord, l’appareil politique américain devrait intensifier ses sanctions : renforcement des interdictions d’utiliser les technologies américaines et des contrôles sur ce point (surveillance des risques de contournements à la réglementation), contrôle des capitaux participant aux financements du développement des technologies chinoises et fermeture du marché américain à toutes ses technologies. Dans le même temps, le risque n’est pas négligeable d’une extension des sanctions sur les pays partenaires des États-Unis, intégrés dans la chaîne de valeur technologique américaine (Pays-Bas, Japon, Corée… ).
D’un point de vue de l’investisseur, ces développements constituent des points de vigilance accrus, tant ils sont susceptibles : soit de remettre en question les leaderships établis, soit de perturber leur développement par les interactions d’une puissance politique qui cherche à préserver, à tout prix, ses intérêts nationaux.

L’autre enseignement de cette séquence industrielle repose sur la légitimité et la pertinence de l’allocation du capital telle qu’elle était effectuée dans la sphère de l’intelligence américaine. Le « toujours plus de puissance de calcul nécessaire » avait conduit à des plans d’investissements titanesques de la part des acteurs technologiques américains, à coups de dizaines de milliards de dollars par trimestre, culminant dans l’annonce du projet Stargate (500 milliards d’investissements IA apportés par Softbank, OpenAI et Oracle, financement dont les détails restent très flous). Cette technologie étant très gourmande en consommation énergétique, les ramifications étaient également pléthoriques en matière d’investissements en génération et transmission d’électricité, systématiquement saluées par les investisseurs. La « méthode Deepseek » rappelle que le manque de moyens justifie de réfléchir autrement, et nous rappelle qu’en matière technologique, comme ailleurs, les rendements ne sont jamais assurés pour longtemps et les ruptures systématiques. Dans le cadre de leurs communications officielles réalisées lors des publications annuelles de résultats, les leaders américains n’ont pas commenté sur un changement d’orientation en matière de dépenses d’investissement (une communication contraire aurait de toute façon décrédibiliser la stratégie mise en place depuis 18 mois, axée sur toujours plus de puissance de calcul et de besoins énergétiques), mais il nous semble critique de garder à l’esprit que les développements réalisés en Chine produiront des ondes de choc sur l’allocation de capital aux États-Unis. Alors qu’il y a encore deux semaines, les actionnaires saluaient des annonces de dépenses massives… au cours des prochains trimestres, ceux-ci devraient désormais focaliser leur vigilance sur le retour sur investissement de ces centaines de milliards dépensés pour tenter de constituer un avantage compétitif plus fragile qu’il ne parait. Enfin, retenons tout de même que les avancées de Deepseek vont également abaisser le coût de la technologie IA, permettant une diffusion plus large et plus rapide de celle-ci, et ouvrant ainsi la voie à de nouvelles opportunités d’investissement.

Rédigé par

Vincent HADERER
Responsable du pôle Gestion Actions Internationales

Sommaire

Analyse de l’évolution des marchés :
  • Obligataire par Yaël KABLA
  • Actions Europe par Ambre SAADA
  • Actions Internationales par Jean Dominique SETA
  • Le regard de l'analyste par Félix LAROCHE
Analyse Suivi Macroéconomique :
  • États-Unis par Sébastien BERTHELOT
  • Europe par Eloïse GIRARD-DESBOIS et Jean-Louis MOURIER
    • Focus : L'union européenne à la recherche d'une compétitivité perdue par Éloïse GIRARD-DESBOIS et Andréa LEMAIRE-SUAU
  • Asie par Louis MARTIN

 

Découvrez notre suivi des marchés