Les hausses des prix de l’électricité et du gaz

Éclairage sur
Zone Euro

Les hausses des prix de l’électricité et du gaz se sont accélérées ces deux dernières semaines en Europe, la conjonction de nouveaux facteurs défavorables amplifiant les déséquilibres actuels de ces marchés.

L’inquiétude sur le niveau des stocks de gaz en Europe s’accroît alors que leur niveau historiquement bas à l’orée de l’hiver avait déjà créé des tensions sur les prix en septembre.

La Demande est soutenue.

Les températures en Europe se sont beaucoup refroidies ces dernières semaines, générant un surplus de consommation de gaz pour se chauffer qui alimente la hausse des prix. A noter qu’aux Etats-Unis, pays producteur il convient de le rappeler, les prix se sont effondrés de plus 35% depuis fin octobre sous l’effet de températures très clémentes pour la saison.

En parallèle, nous assistons à une tension sur les prix de l’électricité, notamment en France. Plusieurs centrales nucléaires devaient faire l’objet d’opérations de maintenance. Mais la conjonction de ces dernières avec la vague de froid a déséquilibré le marché de l’électricité en France. La situation s’est encore dégradée la semaine passée suite aux annonces d’EDF, concernant la mise à l’arrêt prolongée de deux réacteurs suite à ces inspections de maintenance. La France est donc importatrice d’électricité. Une gageure pour le pays qui se targuait, il y a quelques semaines, de la plus grande résilience de son mix énergétique. Les importations proviennent notamment d’Allemagne, dont les prix sont déjà sous pression depuis l’automne, en raison de niveaux bas de stocks de Gaz dont il est une des principales sources. Le gaz se substitue donc en partie au nucléaire pour la production d’électricité. Logiquement, la pression sur les prix de deux commodités s’est accrue.

Du côté de l’Offre de gaz, la situation n’est guère meilleure. Depuis ce week-end, les importations en provenance de Russie se sont à nouveau partiellement arrêtées, notamment celles passant par le pipeline Yamal-Europe. Les flux avaient repris début novembre suite aux annonces du Président Poutine. Et bien que très inférieurs aux niveaux qui prévalaient historiquement, ils avaient rassérénés les opérateurs. L’arrêt brusque ce week-end a donc surpris et alimenté les inquiétudes qui prédominaient déjà sur le marché du gaz il y a quelques semaines. Le prix du gaz entrainant à des niveaux encore plus élevés les prix de l’électricité en Europe. Pourquoi la Russie a-t-elle arrêté ses exportations ? La pire des réponses ne serait d’ailleurs pas une manœuvre géostratégique, mais d’avantage une impossibilité réelle d’exporter plus de gaz, compte tenu de la hausse des exportations de gaz russes vers d’autres zones.

Plus probablement, la stratégie de Gazprom fait suite aux divers refus enregistrés sur le projet Nord Stream 2 depuis deux mois : de l’Europe, d’abord, qui exige la séparation de la propriété des infrastructures et des fournisseurs de Gaz. Or, Gazprom est présent dans les deux entités à ce jour ; des Allemands, ensuite, qui ont exigé que la société d’exploitation du Gazoduc soit enregistrée en Allemagne, plutôt qu’en Suisse comme cela est actuellement le cas.

Par ailleurs, les dissensions au sein du nouveau gouvernement allemand entre les Verts et le SPD sont évidentes sur le sujet. Historiquement, ce projet avait reçu le soutien des deux principaux partis du pays, le SPD et la CDU afin de réaliser la transition hors du charbon et du nucléaire. Les Verts, au contraire, y sont opposés. Par ailleurs, les Américains restent très critiques sur Nord Stream 2, même si, grâce à un accord au début de l’été entre Berlin et Washington, le projet a pu reprendre alors qu’il avait été mis à mal par les sanctions de l’administration Trump en 2019. 

Les opposants pointent aussi la trop grande dépendance de l’Europe au gaz russe, mais surtout son avantage compétitif démesuré en comparaison des autres fournisseurs potentiels (dont les Américains) ; le manque a gagné important pour l’Ukraine dont le gazoduc sera délaissé après l’entrée en fonction de Nord Stream 2 est également souligné. Les Allemands se sont d’ailleurs engagés à investir en Ukraine en compensation. Enfin, cet arrêt brutal prend également plus d’importance au moment où des rumeurs d’invasion de l’Ukraine se font jour. Un climat guerrier qui n’est pas de nature à contribuer à une baisse des prix.

Le risque est donc important pour les acteurs économiques. Les mesures annoncées par différents gouvernements en Europe pour limiter l’impact sur les ménages et les entreprises de ces hausses de prix vont devenir très difficiles à absorber pour les budgets. En France, par exemple, le bouclier tarifaire sur l’électricité devrait passer d’un coût de quelques milliards d’euros à plus de 10 milliards si les prix continuent sur cette tendance. Par ailleurs, même si de nombreuses entreprises ne paient pas le prix « spot », plusieurs industries avaient déjà annoncé en octobre devoir fermer certaines lignes de production non rentables - ce qui pourrait accroître les risques de pénuries sur les chaînes de production concernées. De plus, le prolongement de cette période de prix très élevés se propage aux contrats futurs. Dès lors, les effets devraient se faire sentir encore l’année prochaine, et pénaliser les entreprises et les ménages.

En se prolongeant, cette situation fait peser un risque sur la prochaine saison hivernale car les stocks de gaz vont diminuer plus vite qu’anticipé. Il est donc probable que la baisse des prix du gaz qui adviendra à la sortie de l’hiver, soit plus limitée qu’escomptée et que le niveau reste plus élevé que la moyenne. Les pays européens, à l’instar des pays asiatiques cette année, voudront probablement reconstituer des stocks en conséquence. S’ils venaient à se stabiliser après l’hiver à des niveaux de 40-50€/MWH, cela représenterait presque un triplement des coûts. Il faudra encore compenser la baisse de l’utilisation de l’énergie nucléaire en Allemagne dont l’apport passera de 60TWH à 30 TWH, puis 0 en 2023. Soit une baisse supplémentaire de 6,5% des capacités de production d’électricité en Allemagne qu’il faudra compenser par des énergies renouvelables ou du gaz, ou importer de l’électricité. Cela explique pourquoi les prix à un an restent élevés.

Par ailleurs, les prix du GNL vers l’Europe sont actuellement plus élevés que vers l’Asie. C’est une situation rare. Les bateaux se déroutent vers l’Europe, ce qui ne pose actuellement pas de problème puisque les stocks de gaz en Asie sont élevés en raison des précautions prises. Mais, ces capacités de stockage en Asie restent, dans la majorité des pays, faibles au regard de la consommation. Dans le cas où les stocks baisseraient plus rapidement qu’attendu (en raison d’une vague de froid par exemple), les prix européens « s’exporteraient » en Asie, créant alors un stress sur les prix du gaz et de l’électricité à nouveau en Asie. Ce qui a déjà commencé, puisqu’hier, il semblerait que Gunvor, le principal trader indépendant de GNL dans le monde, ait dérouté ses bateaux destinés au Pakistan vers l’Europe, malgré l’accord de long terme qui lie ces deux parties. L’écart entre les prix spot actuels, à plus de 40$/mbtu sont biens supérieurs aux prix des contrats signés qui se basent, eux, sur le Brent ; Brent dont les prix ont baissé de plus de 12$ (-14%) depuis fin octobre. Au final, Gunvor vendrait son GNL 4 fois plus cher que le prix actuel du marché spot.

Enfin, si l’impact de la hausse du gaz sur les coûts de l’énergie est pénalisant, il l’est aussi sur celui des matières premières agricoles qui utilisent de façon importante le gaz ou l’énergie comme la production d’Ammoniac. Ce qui à son tour aura des répercussions potentielles sur les prix des produits agricoles qui utilisent l’ammoniac comme engrais.

Ces hausses des prix des matières premières mettent une pression forte sur les économies, puisqu’ils impactent producteurs et consommateurs, mais aussi sur les banques centrales au travers des hausses de prix induites. Le risque d’une boucle inflationniste pérenne s’en trouve renforcée.

Evolution prix du gaz en Europe depuis 2017

 

 

Evolution prix de l'électricité en Europe depuis 2017

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Rédigé par

Le Comité énergie et matières premières

Le 23 décembre 2021