"Le regard de l'analyste" - La production de Lithium à l'épreuve des cycles
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Le lithium est un composant - difficilement substituable - pour toutes les batteries modernes, qu'elles équipent les véhicules électriques (VE) ou les systèmes de stockage d'énergie à grande échelle.
Essentielles à la transition énergétique, ces technologies sont animées par une dynamique mondiale caractérisée par le retour du politique soucieux de sécuriser ses approvisionnements et d’assurer son indépendance énergétique. Ces enjeux, que nous suivons dans nos perspectives économiques et financières, constituent les principaux facteurs influençant la demande et les prix du lithium. A ce titre, bien que l'AIE prévoie une augmentation importante de la demande en lithium – un triplement d'ici 2030 et un décuplement d'ici 2040 - ce dernier demeure le minéral dont la chaîne d'approvisionnement est la moins développée parmi les minéraux de transition clés (comme le cuivre, le nickel, le cobalt ou le graphite). Une anomalie qui va de pair avec le paradoxe de la chute prolongée des prix du lithium depuis 2023. Pour l'expliquer, plusieurs éléments de réponses résident à la fois dans les méthodes d'extraction et dans les dynamiques marché.
Saumures et roches dures : Les deux grandes voies d'extraction du lithium
Le lithium est principalement extrait de deux manières. La méthode la plus courante et la moins coûteuse est celle des saumures-carbonates, qui fournit un peu plus de la moitié de la production mondiale. Ce procédé consiste à faire évaporer des saumures (eaux très salées) riches en lithium dans de vastes bassins pour obtenir du carbonate. Cependant, cette technique est limitée aux régions extrêmement arides, comme le fameux « Triangle du Lithium » (Argentine, Bolivie, Chili), où l'évaporation s'étale généralement sur 12 à 24 mois. De plus, le développement d'un tel projet peut s'étendre sur près d'une décennie, car chaque phase de test et d'ajustement du processus d'évaporation (pour l'adapter à la composition chimique de la saumure en question) nécessite elle-même 12 à 24 mois.
L'extraction du lithium à partir de roches dures (spodumène, lépidolite) représente la deuxième méthode de production. Ces gisements sont courants, et le minage est actuellement concentrée en Australie, Chine, et RDC. Toutefois, ce procédé est plus coûteux et complexe que celui des saumures. Il implique une étape de raffinage chimique plus poussée (cette dernière essentiellement réalisée en Chine), ce qui accroît les dépenses aux intrants et induit une consommation énergétique supérieure (le minage étant plus consommateur que l'évaporation naturelle).
De fait, les producteurs de lithium par saumures-carbonates, comme l'Argentin Arcadium (récemment acquis par Rio Tinto) ou le Chilien SQM, jouissent d'un avantage concurrentiel significatif et se positionnent à ce titre en début de courbe des coûts, avec un point mort autour des 10 $/kt LCE. À l'opposé, les exploitants de roches dures, comme l'Américain Albemarle, ont un point mort autours des 12 à 15 $/kt LCE. Les premiers demeurent profitables quel que soit le cycle de marché, tandis que les seconds ne prospèrent que lorsque les prix sont élevés.
Les surcapacités qui pèsent sur les prix, une fatalité durable ?
La demande en lithium est promise à une croissance significative, mais elle demeure relativement inélastique. Cela signifie que, si le coût du lithium est important, c'est surtout l'offre qui dicte les cours. En économie, trois facteurs clés régissent le cycle prix d’une matière première conditionné par son offre : la position dans la courbe des coûts de chaque producteur, la rapidité avec laquelle la production peut être ajustée, et l'ampleur de ces ajustements. Plus il faut de temps pour modifier l'offre et moins les ajustements sont importants, plus le cycle prix sera durablement éloigné de son équilibre (déclenchant de longues tendances haussières ou baissières du marché).
Sur le lithium, ce sont essentiellement les surcapacités qui expliquent la baisse du marché depuis 2023. Une tendance structurellement entretenue par les méthodes de production. D’un côté, l'extraction par saumure, bien que la moins onéreuse, est caractérisée par une forte inertie. Ses longs délais de production (entre 12 et 24 mois) et son caractère très capitalistique limitent sa capacité d'ajustement de l'offre (auquel s’ajoute également la contrainte géographique). En outre, cette intensité capitalistique encourage les producteurs à maximiser les volumes, et ce, indépendamment des prix du marché. Quant à l'extraction par roche dure, elle offre une plus grande flexibilité pour ajuster la capacité, grâce à des investissements initiaux (sur le minage) moins lourds et des coûts variables plus importants. Cependant, le volet raffinage chimiques est à l’inverse très gourmande en capital, et vient là aussi encourager une dynamique de maximisation de la production.
De plus, une dimension politique s'ajoute à ces contraintes. De nombreux pays perçoivent la production de lithium comme une capacité stratégique. Cette vision a entraîné une surcapacité structurelle, exacerbée par la vague d'investissements survenue entre 2021 et 2023 lorsque les prix étaient élevés. Cette surabondance de l'offre entrave désormais les ajustements de production nécessaires à un rééquilibrage du marché. En conséquence, et malgré l'importance stratégique de développer des chaînes de valeur régionales, les prix bas actuels compromettent la viabilité économique de ces projets.
Toutefois, loin d'être une impasse, la situation actuelle du marché pourrait être transformée par l'Extraction Directe de Lithium (DLE). Cette nouvelle méthode d’extraction a le potentiel de modifier les dynamiques d'ajustements de l'offre. Le DLE offre des avantages majeurs : il permettrait l'extraction de lithium même dans les climats humides, augmentant considérablement les ressources exploitables. De plus, il apporterait une flexibilité de production inédite, avec des ajustements possibles en jours ou semaines plutôt qu'en mois ou années. Bien que plusieurs technologies DLE soient encore en phase de développement (à l'image du projet "AGeLi" d'Eramet en Alsace) et nécessitent des adaptations à la chimie spécifique de chaque saumure, le consensus général est clair : le DLE rendra de nouvelles ressources de saumure économiquement viables d'ici 5 à 10 ans, rivalisant directement avec les méthodes d'évaporation traditionnelles.
Rédigé par

Félix Laroche
Analyste financier et extra financier