Le règlement du gaz russe au cœur des enjeux sur l’application des sanctions à l’encontre de la Russie

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Le 31 mars, le gouvernement russe a publié un décret portant sur l’utilisation du rouble dans le règlement des importations de gaz. Ce décret stipule que les pays considérés comme inamicaux (ce qui inclut l’ensemble de l’Union européenne) devront régler leurs importations de gaz en rouble. Plus précisément, le décret prévoit que les importateurs devront ouvrir deux comptes auprès de la Gazprombank, l’un en devise et l’autre en rouble, auprès de la filiale suisse de Gazprombank. Le paiement des importations se déroulera en deux temps. Dans un premier temps, les importateurs régleront la somme due en devise (en euros ou en dollars) sur le premier compte, ce qui, jusqu’à présent, signalait la bonne fin de la transaction. Dans un deuxième temps, Gazprombank procédera à la conversion du compte en devise en rouble, sur le marché des changes russes. Le compte de l’importateur européen sera alors crédité de la somme correspondante en rouble. L’importateur européen devra ensuite procéder au paiement de ses importations de gaz en rouble auprès de la Russie. Pour Moscou, la transaction est donc considérée comme complète lorsque le paiement en rouble est effectué (alors qu’auparavant ces paiements s’effectuaient en devise).

La portée de ce mécanisme sur les sanctions européennes et sur le rouble apparaît ambiguë et fait l’objet de débat. Depuis le déclenchement de la guerre, 80% des recettes en devises des exportateurs de gaz russes devaient être converties en rouble. La conversion des devises en rouble était donc déjà assurée en grande partie. Cette obligation de conversion, conjuguée à des mécanismes de contrôle de capitaux, a d’ailleurs permis au rouble de retrouver son niveau d’avant-guerre.

Avec ce système de double dépôt (en devise et en rouble), le gouvernement russe assure un soutien à la devise, mais semble aussi se prémunir de futures sanctions. Jusqu’à aujourd’hui, la Gazprombank était créditée en devise, mais ces paiements restaient sous la menace d’être rendus inutilisables par de nouvelles sanctions (à l’instar des avoirs de réserves de la Banque Centrale russe à la suite des sanctions). En obligeant les importateurs européens à effectuer le paiement en rouble, Moscou cherche à se prémunir contre d’éventuelles nouvelles sanctions, portant sur la saisie ou le gel des paiements en devise.

Depuis des semaines, les Etats et les entreprises cherchent à obtenir une clarification sur la portée de cette exigence russe (est-elle constitutive d’une rupture de contrat et à ce titre sont-elles ou non dans l’obligation de s’y soumettre ?). Face au manque de ligne directrice claire de la Commission Européenne et compte tenu des intérêts divergents qui ont pu faire surface de la part des Etats, les entreprises semblaient avancer en ordre dispersé. Uniper en Allemagne, OMV en Autriche ou ENI en Italie ont fait des démarches pour ouvrir les comptes en roubles requis, se laissant la possibilité d’assurer les règlements des factures à venir et donc la continuité de la livraison de gaz. Ces entreprises attendent notamment les décisions de chacun des Etats membres.

La décision de la Russie de stopper l’approvisionnement en gaz de la Bulgarie et de la Pologne, en raison du refus de ces derniers de se soumettre au nouveau système de paiement, a permis de clarifier la position de la Commission Européenne. Par la voix de son porte-parole, puis relayée par Ursula Von der Leyen, la Commission européenne a ainsi déclaré le jeudi 28 avril que répondre aux exigences du gouvernement russe constituerait une violation des sanctions, d’une part, et des contrats actuels (97% des contrats actuels sont en euros ou en dollars selon la Commission) d’autre part. Toutefois, la Commission a ajouté qu’il appartenait à chaque Etat membre de s’assurer que les sanctions soient bien appliquées. Or, certains États membres, au premier rang desquels se trouve l’Allemagne, ne semblent pas disposés à risquer une coupure du gaz. La Bundesbank a notamment publié la semaine passée un rapport qui prévoit une récession majeure en cas d’embargo sur le gaz (contraction de 2% de l’économie allemande en 2022).

Les semaines à venir vont donc être cruciales puisque d’importantes échéances de règlement de factures de gaz russe doivent intervenir au mois de mai. La ligne directrice éditée par la Commission européenne sera-t-elle respectée, au risque pour certains Etats de mettre en péril leurs propres économies si la Russie venait à mettre en exécution ses menaces de coupure des approvisionnements ? A l’inverse, les dissensions vont-elles apparaître, en fonction des intérêts et risques particuliers? Nul doute que l’unité des pays considérés comme « inamicaux » par la Russie va être à nouveau amplement testée. Dans ce contexte, un consensus sur un arrêt des livraisons de pétrole pourrait s’avérer plus aisé, les Etats européens travaillant sur des solutions logistiques alternatives.

 

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