Italie: une alliance gouvernementale inédite au pouvoir
Le résultat des élections législatives du 4 mars 2018 avait ouvert la voie à une fragmentation inédite du Parlement italien.
L’impasse politique qui en a résulté avait vu l’alliance de circonstance des partis Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Ligue se confronter au choix du Président de la République italienne, Sergio Mattarella. Son refus de nommer un économiste eurosceptique déclaré, Paolo Savona, au poste de ministre des finances, avait élargi un peu plus cette crise politique. Après deux semaines de tractations, et l’esquisse d’un gouvernement transitoire de nature technique, c’est bien à Giuseppe Conte, candidat proposé par le M5S et la Ligue, que reviendra de gouverner le pays en tant que Président du Conseil, avec une concession sur la personnalité en charge du ministère de l’économie et des finances. A première vue, cette décision écarte l’éventualité de nouvelles élections législatives et apaise la crise institutionnelle qui se dessinait entre le Président de la République et les deux partis politiques qui disposent de la majorité au Sénat et à la Chambre des députés. Toutefois, l’accord de coalition comporte quelques points de fragilité qui laissent présager que les chances sont plutôt faibles que ce gouvernement, sous sa forme actuelle, parvienne au terme naturel de sa législature. Les premiers pas législatifs, avec le budget 2019 en ligne de mire, et prises de position sur la scène européenne revêtiront une importance particulière sur les prochains mois.
« La coalition de gouvernement entre la Ligue et le M5S disposera d’une courte majorité au Sénat (+7 sièges) et d’une plus large majorité à la Chambre des députés (+31 sièges) »
Le choix d’un gouvernement politique plutôt que « technique »
« Le gouvernement présenté par G. Conte a pris en compte certaines exigences du Président de la République italienne »
Le résultat des élections législatives en début d’année avait mené à la constitution d’un Parlement italien fragmenté. Après une longue période de consultations (88 jours), le Président de la République, Sergio Mattarella, a décidé de confier le mandat de chef du gouvernement à Giuseppe Conte, personnalité novice en politique et non élue, sur proposition des chefs de file de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles. Cette désignation ne s’est pas faite sans heurt puisque ce même G. Conte avait dû renoncer à son mandat une première fois, suite au refus de Sergio Mattarella d’approuver la nomination du Ministre des finances, Paolo Savona, un économiste ayant une position ouvertement sceptique sur l’appartenance de l’Italie à la Zone euro mais aussi après une période de tractations avec Carlo Cottarelli, ancien économiste du FMI, afin de former un gouvernement de transition à vocation technique, c’est-à-dire dédié à la gestion des affaires courantes. Cette dernière solution avait finalement été rejetée puisqu’elle semblait élargir la crise politique aux yeux de l’opinion publique. Les premières réactions, de la part des responsables politiques du M5S, avait évoqué un déni de démocratie et appelé à des manifestations d’ampleur dans les villes du pays le 2 juin, jour de la fête de la naissance de la République italienne.
C’est donc in fine un gouvernement composé de personnalités politiques qui a eu le feu vert du Président après une concession des deux chefs de file du parti M5S (L. Di Maio) et la Ligue (M. Salvini) sur le nom de la personne en charge du ministère de l’économie et des finances. En lieu et place de Paolo Savona, l’économiste Giovanni Tria prendra les rênes de ce ministère. Ce dernier, actuellement président de l’Ecole nationale d’administration italienne et professeur d’économie à Rome, semble répondre à une des exigences de Sergio Mattarella, à savoir son attachement à l’Europe qui modère les craintes sur l’appartenance à la monnaie unique, tout en développant un regard critique sur les échecs de l’Union économique et monétaire et sur les externalités négatives de la position dominante du commerce allemand. Dans ses dernières déclarations publiques, il se positionnait plutôt en faveur d’un renforcement de l’Union économique et monétaire afin de rétablir une convergence indispensable entre les partenaires européens.
Parmi les autres postes clés de ce gouvernement, on retrouve, sans surprise, les noms de Matteo Salvini au ministère de l’intérieur, et de Luigi Di Maio en tant que ministre du travail et du développement économique. La relation entre le chef de l’exécutif, G. Conte, et ces deux personnalités de poids au gouvernement sera notamment à suivre de près en raison des contradictions fondamentales, pour l’heure mises de côté entre le M5S et la Ligue, sur leur projet de société et leur volonté intrinsèque d’étendre leur base électorale à travers leur action respective. En termes de suffrages et de sièges parlementaires, le centre de gravité de la coalition penche, à l’heure actuelle, en faveur du M5S mais la dynamique électorale récente, au regard des sondages, porte plutôt le chef de file de la Ligue, qui n’a jamais caché son désir de voir se tenir des élections anticipées. Par ailleurs, deux postes ont également retenu notre attention : celui des affaires étrangères, confié à un ancien membre du gouvernement Monti, E. Milanesi, et celui des affaires européennes, à P. Savona, candidat refusé au poste de ministre des finances. Le vote de confiance, en début de la semaine prochaine, ne devrait être qu’une formalité en raison d’une majorité assez confortable au Parlement.
La décision du Président de la République évite, au moins à court terme, que le débat autour de nouvelles élections ne se cristallise uniquement sur la question binaire de l’appartenance de l’Italie à l’Union monétaire et économique. Le Président de la République, qui se veut le garant des engagements historiques du pays (appartenance à l’OTAN et à l’Union européenne), sera, selon toute vraisemblance, une figure de premier plan des semaines à venir, en amont du Conseil européen du 26-27 juin 2018. En déclinant la nomination d’une personnalité jugée eurosceptique, il a tracé les lignes rouges à ne pas franchir pour le gouvernement. A ce titre, la Constitution italienne lui confère des pouvoirs importants face à l’exécutif. Ainsi, il peut dissoudre le Parlement italien selon l’article 88, après consultation avec les deux Présidents de chambre. Il dispose également de la responsabilité de promulguer les lois (article 87) et peut contraindre le gouvernement à une nouvelle délibération sur une loi (article 74). Cette dernière doit néanmoins être promulguée si les Chambres l’adoptent de nouveau en l’état. Enfin, l’article 81 de la Constitution prévoit que l’adoption des lois, notamment budgétaires, doit préciser clairement les moyens de couvrir financièrement toute aggravation des dépenses menant à déstabiliser l’équilibre des finances publiques. Ces contre-pouvoirs sont autant d’éléments qui auront vocation à freiner les velléités du nouveau gouvernement, notamment au regard des réformes économiques.
Sur le papier, un équilibre budgétaire sous pression
« Le programme économique de l’accord mêle des promesses de redistribution à une baisse de la fiscalité de grande ampleur »
Dans les grandes lignes, le contenu du « contrat de gouvernement », publié au milieu du mois de mai entre le M5S et la Ligue, retient une majorité des promesses électorales des deux partis, parfois sans grand souci de cohérence économique sur les moyens de financement des nouvelles dépenses ou du manque à gagner d’autres mesures en termes de recettes publiques. Cet accord s’articule autour des points suivants :
Du côté fiscal, l’accord prévoit l’introduction de deux taux d’imposition à 15 et 20% pour les entreprises et les contribuables. La progressivité de l’impôt serait assurée par la mise en place d’exemptions et les bas revenus seraient exonérés de toute fiscalité. Des mesures sont prévues pour relancer la natalité, comme des crèches gratuites pour les résidents ou une TVA à 0 % sur les produits de la petite enfance. L’instauration d’un revenu de citoyenneté de 780 euros par mois à partir de 2020 a été retenue pour les chômeurs, sous condition de recherche active d’emploi, et les personnes en situation de pauvreté. La dernière réforme des retraites dite Fornero, votée sous le gouvernement de Mario Monti en 2011, retardant l’âge de départ à la retraite à 67 ans en 2019 devrait être supprimée. Un nouveau barème sera instauré qui permettra à toute personne de cesser son activité professionnelle lorsque la somme de son âge et de ses années de cotisation sera égale à 100 (Par exemple, un âge de 60 ans associé à 40 ans de cotisations). Le montant minimal des pensions de retraites sera fixé à 780 euros et celles au-dessus de 5000 euros seront réduites. La politique migratoire va être sensiblement durcie avec l’ouverture de centres pour accélérer le nombre d’expulsions d’immigrants clandestins dans chaque région. Les places de crèches seront limitées pour les étrangers. Du côté institutionnel, le nombre de parlementaires sera réduit à 400 députés avec l’interdiction de changer de groupe parlementaire au cours de la législature. Les personnes condamnées pour corruption ou faisant l’objet de poursuites judiciaires pour faits graves ne pourront pas entrer au gouvernement. Par ailleurs, le pacte de coalition prévoit un réexamen de la ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin ainsi qu’une réorientation de sa diplomatie vers un dialogue avec la Russie et la fin des sanctions.
Le coût de ce programme économique et politique a été estimé à plusieurs points de PIB (5 à 7% selon les sources) autour de 100 à 150Mds€ par an et les mesures de compensation en termes de financement restent pour l’instant assez vagues (retour des avoirs de l’évasion fiscale, « moins d’impôts donc moins de fraude », etc.).
Selon toute vraisemblance, la période qui s’ouvre, après la nomination de ce gouvernement, pourrait être jonchée de difficultés, en particulier dans les relations avec les institutions européennes sur les finances publiques et la politique migratoire, et de nouvelles incertitudes au plan politique susceptibles de mettre à mal la visibilité sur la situation économique du pays. Toutefois, il semble tout aussi important de mettre l’accent sur les avancées du pays depuis la dernière crise de la dette souveraine en 2010-2012.
D’une part, les fondamentaux économiques du pays sont dans un bien meilleur état que lors de l’épisode précédent avec une amélioration des finances publiques (ratio de dette publique élevé mais stable en % du PIB et déficit public maintenu sous les 3% depuis 2013) et des équilibres extérieurs illustrés par un compte courant excédentaire alors qu’il était largement déficitaire jusqu’en 2012.
D’une part, les fondamentaux économiques du pays sont dans un bien meilleur état que lors de l’épisode précédent avec une amélioration des finances publiques (ratio de dette publique élevé mais stable en % du PIB et déficit public maintenu sous les 3% depuis 2013) et des équilibres extérieurs illustrés par un compte courant excédentaire alors qu’il était largement déficitaire jusqu’en 2012.
D’autre part, les pays membres de la Zone euro ont renforcé l’architecture institutionnelle de l’Union économique et monétaire en créant des outils d’assistance financière comme le mécanisme de stabilité européen (MSE) ou l’OMT sous certaines conditions en relation avec la Banque centrale européenne. Cette dernière a également mis en place un ensemble d’opérations de refinancement de long terme assurant une fourniture ample de liquidité aux banques et continue encore à l’heure actuelle d’intervenir par des achats de dettes obligataires souveraines sur les marchés financiers. Si les répercussions politique et économique requièrent toute notre vigilance, la présence de ces garde-fous, permettant de mieux parer à un risque de défiance des marchés, sont autant d’éléments constructifs à ne pas négliger dans ce contexte.
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Thomas Foicik
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