Allemagne : La coalition menacée ?
La coalition actuellement au pouvoir en Allemagne, regroupant le parti démocrate-chrétien (CDU), l’Union Chrétienne Sociale (CSU) ainsi que le parti socio-démocrate (SPD), semble fragilisée.
Début juin, le ministre de l’intérieur et Président de la CSU, H. Seehofer, a exigé un durcissement de la politique migratoire allemande. Les avancées enregistrées lors de la réunion du Conseil Européen du 28-29 juin sur ce point ne semblent pas avoir suffi à satisfaire les exigences du ministre de l’intérieur. En conséquence, ce dernier a menacé de démissionner de son poste de ministre et de président de la CSU si aucun accord avec A. Merkel n’émerge avant le 2 juillet.
La CSU étant un allié historique de la CDU ainsi qu’un membre de la coalition de gouvernement, la démission de son Président pourrait menacer l’équilibre politique allemand et mettre en péril la coalition actuelle, voire conduire à de nouvelles élections. Dans cette note, nous vous proposons de revenir sur les différents scénarios qui pourraient se matérialiser dans les semaines et mois à venir.
« Une alliance entre la seule CDU et le SPD ne totalise que 353 sièges sur 709, ce qui ne permet pas d’atteindre la majorité absolue. »
La question migratoire menace la coalition gouvernementale
« Les conclusions du sommet européen du 28-29 juin n’ont pas suffit à satisfaire les exigences du chef de file de la CSU »
La coalition de gouvernement actuellement au pouvoir en Allemagne a émergé à la suite de plusieurs mois de négociation et regroupe trois partis. Le parti démocrate-chrétien (CDU), mené par la chancelière A. Merkel, totalise 200 sièges tandis que son allié historique, l’Union Chrétienne Sociale (CSU) en compte 46. Enfin, le parti socio-démocrate (SPD) représente 153 sièges. A eux trois, ces partis rassemblent donc 399 sièges sur un total de 709.
Début juin, des dissensions sont apparues entre la CDU et la CSU lorsque le chef de file de la CSU et ministre de l’intérieur, H. Seehofer, a déclaré souhaiter un durcissement de la politique migratoire. Ces demandes sont intervenues en amont des élections du Land de Bavière, qui auront lieu en octobre prochain et où la CSU devra faire face au parti d’extrême droite AfD. M. Seehofer souhaite notamment un renforcement du contrôle aux frontières ainsi qu’une limitation des mouvements migratoires dits secondaires. Il s’agirait, pour la CSU, de renvoyer les demandeurs d’asile dans les pays de l’UE où ils ont été enregistrés, c’est-à-dire dans les pays limitrophes de l’Union comme l’Italie ou la Grèce. Selon la CSU, la question migratoire relèverait de l’ordre public, or la constitution allemande permettrait au gouvernement d’empêcher l’entrée sur le territoire en cas de menace à l’ordre public. Cette politique apparaît toutefois aux antipodes des souhaits du gouvernement italien qui exige une répartition équitable du flux des réfugiés et une renégociation du règlement dit de Dublin III (2014). En effet, ce règlement stipule que, sauf critères familiaux, le pays responsable de la demande d’asile d’un migrant est le premier État membre où sont conservées les empreintes digitales de ce dernier.
Au final, M. Seehofer a posé un ultimatum à la chancelière allemande en demandant des progrès début juillet, soit après le Conseil Européen qui s’est tenu le 28-29 juin. Le sommet du Conseil Européen a débouché sur un accord sur la question migratoire prévoyant la mise en place de centres d’accueil au sein de l’Union Européenne sur la base du volontariat, ce qui semble satisfaire le Président italien Conte. L’accord appelle également les états membres à prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter les déplacements des migrants entre les pays sans toutefois préciser les modalités d’une telle action.
Ce dernier point ne semble toutefois pas avoir suffi à satisfaire les exigences de la CSU. Au cours du weekend, M. Seehofer a ainsi offert de démissionner de son poste de ministre de l’intérieur et de Président de parti à moins qu’A. Merkel ne change sa position en matière de politique migratoire. Le chef de file de la CSU laisse toutefois une dernière opportunité de conciliation à A. Merkel lors d’une réunion qui se tiendra le 2 juillet en fin d’après midi.
Les dissensions entre les deux partis sont importantes
« Les dissensions entre la CSU et la CDU ne se limitent pas à la question migratoire »
La question migratoire n’est pas le seul point de friction entre les deux partis. En effet, l’acceptation par Angela Merkel d’un budget de la zone euro, lors du sommet franco-allemand de Meserberg le 19 juin 2018, divise aussi sa majorité. La CSU désapprouve le projet d’un budget de la zone euro et souhaite convoquer une grande réunion de la coalition gouvernementale pour clarifier la position sur le sujet. Pour Marcus Söder, un des dirigeants de la CSU, le projet de budget d’investissement de la zone euro s’apparenterait à un nouveau « budget caché » conçu au détriment des contribuables allemands et propre « à affaiblir l’euro ». La CSU rejette également le projet de fonds européen destiné au financement de l’assurance chômage.
Ce n’est pas la première fois qu’un risque de rupture entre la CSU et la CDU se fait jour. En 1976, les deux partis avaient failli rompre leur alliance. Néanmoins ce schisme n’a pas eu lieu et semblait découler de différends d’ordre plus personnels que politiques. Aujourd’hui, les tensions entre la CSU et la CDU semblent plus importantes. En 2004 déjà, H. Seehofer et A. Merkel avait croisé le fer à l’occasion de la réforme du système de santé.
La démission de M. Seehofer pourrait conduire à la fin de la coalition
« Au-delà des enjeux de politique interne, la crise politique allemande pourrait être lourde de conséquence pour l’Union Européenne »
Plusieurs scénarios pourraient émerger en cas de démission ou de limogeage du ministre de l’intérieur. Tout d’abord, la démission de M. Seehofer pourrait simplement conduire à la nomination d’un nouveau ministre de l’intérieur issu de la CSU et dont les idées seraient plus compatibles avec celle de la coalition. Dans un tel scénario, la coalition se maintiendrait.
En revanche, la démission de M. Seehofer pourrait également conduire à la fin de la coalition et à une chute du gouvernement actuel. En effet, une alliance entre la seule CDU et le SPD ne totalise que 353 sièges sur 709, ce qui ne permet pas d’atteindre la majorité absolue.
En cas de scission de la coalition, trois alternatives pourraient se dessiner. Tout d’abord, A. Merkel pourrait faire le choix d’un gouvernement minoritaire. Néanmoins, la question de la mise en place d’un gouvernement minoritaire s’était déjà posée à la suite des dernières élections et ne semble pas avoir les faveurs d’A. Merkel. Une telle option apparaît donc improbable. Deuxièmement, une nouvelle coalition, avec un autre parti ou un autre chancelier, pourrait émerger. La CDU et le SPD pourraient faire le choix d’une coalition avec les Verts (67 sièges au parlement) ou avec le parti libéral FdP (92 sièges). Bien qu’apparemment peu probable, ce scénario n’est toutefois pas à exclure. De plus, si une motion de confiance proposée par le Chancelier fédéral n’obtient pas l’approbation de la majorité des membres du Bundestag, le Président fédéral peut, sur proposition du Chancelier, dissoudre le parlement dans les 21 jours. Durant cette période, le Bundestag peut élire un autre Chancelier fédéral à la majorité de ces membres et ainsi éviter la dissolution. Dans un tel cas, A. Merkel serait alors remplacée par un nouveau chancelier. Troisièmement, la crise politique actuelle pourrait déboucher sur de nouvelles élections législatives. En effet, si le rejet de la motion de confiance conduit à la dissolution du Bundestag, de nouvelles élections législatives auront lieu. En cas de dissolution en juillet, ces élections pourraient intervenir en septembre au plus tôt.
Les sondages actuels au niveau fédéral montrent que le soutien à la grande coalition s’érode (une majorité CDU-SPD semble donc peu probable), le parti FDP souffre également d’une baisse de sa popularité en raison de sa posture post-électorale dans les négociations d’une coalition « jamaïcaine ». La CSU pourrait tirer les bénéfices en termes de voix au niveau régional mais pas forcément au niveau fédéral. Enfin, le parti d’extrême droite AfD a vu sa popularité croître. Autant d’éléments qui poussent plutôt au maintien du statu-quo au niveau fédéral. A l’heure actuelle, les sondages pour les élections de Bavière donnent la CSU en tête avec 40-42% des sièges et proche de 50% si le FDP et Die Linke n’atteignent pas le seuil de 5% pour entrer au Parlement régional. La position de l’AfD (parti d’extrême-droite nationaliste), autour de 10-15%, pourrait empêcher la CSU d’avoir la majorité absolue. Dans les enquêtes d’opinion, il apparaît aussi qu’une large majorité des sondés (environ 70%) sont plutôt favorables à la sortie de la CSU de la coalition de gouvernement si un durcissement de la politique migratoire n’est pas acté.
Au-delà des enjeux de politique interne, la crise politique allemande pourrait être lourde de conséquence en termes de politique européenne notamment en ce qui concerne les questions de libre-circulation des personnes et de politique budgétaire.
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